AVENTURES ET MÉSAVENTURE DE L’ÉCRITURE. À PROPOS DE L’INTERPRÉTATION DE LA NAISSANCE DE L’ÉCRITURE EN MÉSOPOTAMIE
Resumo
Résumé: L’apparition de l’écriture, pour la première fois dans le monde, en Mésopotamie à la fin du quatrième millénaire av. J.-C., fut et reste perçue comme une véritable révolution, comme la manifestation d’un saut qualitatif de la civilisation d’autant plus spectaculaire qu’il était imprévisible. Telle est notre perception occidentale, répétée au fil des siècles depuis l’antiquité grecque, mais qui n’est pas universelle. L’Extrême-Orient a une tout autre conception de l’écriture. L’examen attentif des faits, tout comme l’abondante littérature qu’ils ont suscitée, incite à se demander si la véritable aventure de l’écriture ne fut pas en vérité la mésaventure que constitue cette historiographie maintenant millénaire qui n’a cessé de générer une suite quasi ininterrompue d’études, de discours, de mythes et d’histoires visant à décrire son origine. Nous tenterons d’emprunter les issues qui en elle permettent, une sortie de cette mésaventure. Issues que constituent lestravaux de Leroi-Gourhan, Derrida et A.-M. Christin, ainsi que les avancéesrécentes de la neuro-physiologie, celles de G. Rizzolatti notamment. L’écriture comme la parole est une manifestation de l’activité symbolique sans que la première soit nécessairement soumise à la seconde. La relation de l’une à l’autre n’est pas verticale, mais horizontale. L’écriture apparaît donc, quand un champ notionnel est suffisamment élaboré pour être exprimé par un moyen autre que celui de la langue.
Resumo: A aparição da escrita, pela primeira vez no mundo, na Mesopotâmia no final do quarto milênio antes de Cristo, foi e continua sendo percebida como uma verdadeira revolução, como a manifestação de um salto qualitativo da civilização tão espetacular quanto imprevisível. Esta é a nossa percepção ocidental, repetida ao longo dos séculos desde a Antiguidade grega, mas que não é universal. O Extremo Oriente tem uma concepção de escrita bem diferente. O exame atento dos fatos, assim como a abundância literária que suscitaram, incita a nos perguntarmos se a verdadeira aventura da escrita não foi na verdade uma desventura, que constitui essa historiografia agora milenar que não cessou de gerar uma sequência quase ininterrupta de estudos, discursos, mitos e histórias visando a descrever a sua origem. Vamos tentar tomar emprestadas questões que permitem uma saída desta desventura. Trata-se de questões que fazem parte dos trabalhos de Leroi-Gourhan, Derrida e A.-M. Christin, assim como dos avanços recentes da neuro-fisiologia, notadamente aqueles realizados por G. Rizzolatti. A escrita, assim como a palavra, é uma manifestação da atividade simbólica sem que a primeira esteja necesariamente submetida à segunda. A relação entre uma e outra não é vertical, mas horizontal. A escrita aparece então quando um campo de noções está suficientemente elaborado para poder ser exprimido por um outro meio que não aquele da língua.
Abstract: For the first time in the world, the appearance of writing in Mesopotamia at the end of the fourth millennium BC was and continues to be perceived as a true revolution, as the manifestation of a qualitative leap of civilization, so spectacular and unpredictable. This is our Western perception, repeated over the centuries since the ancient Greeks, although it is not universal. There is a completely different perception of the writing for the Far East. The careful examination of the facts, along with the emerging abundant scholarship, raisesthe question whether the true adventure of writing wasin fact a mishap, which constitutes the now millenarian historiography that has not ceased to generate an almost uninterrupted sequence of studies, discourses, myths and histories in order to describe its origin. We will try to borrow questions that allow us to get out of this misadventure. Questions that form part of the work of Leroi-Gourhan, Derrida and A.-M. Christin, as well as recent advances in neurophysiology, notably those by G. Rizzolatti. Writing, as speech, is a manifestation of symbolic activity, without the former necessarily being subjected to the second. The relationship of one to the other is not vertical but horizontal. The writing then appears when a notional field is sufficiently developed to be expressed by means other than that of language.
Palavras-chave
Texto completo:
PDFReferências
AMIET P. 1982, « Introduction historique », dans ANDRE-LEICKMAN B. et ZIEGLER Chr. p. 17-27.
ANDRE-LEICKMAN B. et ZIEGLER Chr. 1982, Naissance de l’écriture. Cunéiformes et hiéroglyphes. Catalogue de l’exposition aux Galeries nationales du Grand Palais, 7 mai-9 août 1982. Paris : Edition de la Réunion des Musées Nationaux.
BOTTERO J. 1982, Ecriture et civilisation en Mésopotamie, dans ANDRE-LEICKMAN B. et ZIEGLER Chr. 1982 p. 28-31.
BOTTERO J. 1982b, « De l’aide-mémoire à l’écriture », dans CHRISTIN A.-M. 1982, p. 13-37.
CHRISTIN A.-M. 1982, Ecritures : systèmes idéographiques et pratiques expressives, Paris : Le Sycomore
CHRISTIN A.-M. 1985 Ecriture II, Paris : Le Sycomore.
CHRISTIN A.-M. 1995, L’image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion.
CHRISTIN A.-M. 2001, Histoire de l’écriture, De l’idéogramme aux multimédia, Paris Flammarion.
DERRIDA J., 1967 a, De la grammatologie, Paris : Minuit.
DERRIDA J., 1967 b, La voix et le phénomène, Paris : PUF.
DERRIDA J., 1972, Marges de la philosophie, Paris : Les Edition de Minuit.
DIDI-HUBERMAN G., 2011, Atlas ou le Gai savoir inquiet - L’œil de l’histoire, 3, Paris : Les Editions de Minuit.
DURAND J.-M., 1977, « Diffusion et pratiques des écritures cunéiformes au Proche-Orient ancien », L’espace et la lettre, Cahier de Jussieu /3. p. 13-59. Paris : col.10/18.
DURAND J.-M., 1982, « Espace et Ecriture en cunéiforme », dans CHRISTIN A.-M. 1982, p. 51-64.
DURAND J.-M., 1985, « Trois approches de la notion d’idéogramme sumérien », dans CHRISTIN A.-M. 1985, p. 25-43.
DURAND J.-M., 2001, « L’écriture cunéiforme », dans CHRISTIN A.-M. (sous la direction de), Histoire de l’écriture. De l’idéogramme aux multimedia, p. 22-25. Paris, Flammarion).
EDZARD D. O., 2003, Sumerian Grammar, Leiden, Boston : Brill.
FALKENSTEIN A. 1936, Archaische Texte aus Uruk, Deutsche Forshungsgemeinschaft, Berlin.
GELB I.-J. 1973, Pour une théorie de l’écriture, Paris : Flammarion. Première édition, 1952, A study of Writing, The University of Chicago Press.
GLASSNER J.-J. 2000, Ecrire à Sumer, l’invention du cunéiforme, Paris : Seuil.
GOLDSCHMIT M., 2003, Jacques Derrida, une introduction, Paris : Pocket, la Découverte.
HUSSERL E. 1962, L’origine de la géométrie. Introduction, de Jacques Derrida, Paris : PUF.
LABAT R. 1948 (1ère Edition) Manuel d’épigraphie akkadienne, Paris : Librairie Orientaliste Paul Geuthner.
LE BRUN A. 1978, « La glyptique du niveau 17B de l’Acropole (campagne 1972) », Paris : Cahiers de la D.A.F.I. n°8, p.61-80.
LE BRUN A. et VALLAT F. 1978, « L’origine de l’écriture à Suse », Paris : Cahiers de la D.A.F.I. n°8, p.11-60.
LEROI-GOURHAN A. 1964, Le geste et la parole, technique et langage, T1, Paris : Albin Michel.
LION B. et MICHEL C. (sous la direction de) 2008, Les écritures cunéiformes et leur déchiffrement, Paris : De Boccard.
LION B. et MICHEL C. (sous la direction de) 2008, Histoires de déchiffrements, Les écritures du Proche-Orient à l’Égée. Paris : Éditions Errance.
MATTHEWS R. 1997, « L’émergence de l’écriture au Proche-Orient » dans TALON Ph. et VAN LERBERGHE K., 1997, p. 13-19.
MEAD G. H. 1938, The Philosophy of the act, Chicago : Chicago University Press.
MERLEAU-PONTY M. 1964a, Le Visible et l’invisible, Paris : Gallimard (Tel).
MERLEAU-PONTY M. 1964b, L’œil et l’esprit, Paris : Gallimard.
MERLEAU-PONTY M. 1945, La phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard.
NISSEN H. 1997, « L’invention de l’écriture cunéiforme, les tablettes archaïques d’Uruk », dans TALON Ph. et VAN LERBERGHE K., 1997, p. 21-31.
NISSEN H. DAMEROW P., ENGLUND R. 1993, Archaic Bookkeeping, Early Writing and Techniques of Economic Administration in the Ancient Near East. Chicago and London : The University of Chicago Press.
NOUGAYROL J. 1968, « La Divination babylonienne » dans CACQUOT A. et LEIBOVICI M. La Divination, p. 25-81. Paris : PUF.
PETIT, 1999, « Constitution by movement : Husserl in light of recent neurobiological findings » in PETITOT J., VARELA F. J., PACHOUD B., ROY J.-M., p. 220-244.
PETITOT J., VARELA F. J. PACHOUD B., ROY J.-M. 1999, Naturalizing Phenomenology : Issues in Contemporary Phenomenology and Cognitive Sciences, Stanford : Stanford University Press. Traduit en français, 2002, Naturaliser la phénoménologie. Essais sur la phénoménologie contemporaine et les sciences cognitives, Paris : CNRS Editions.
PLATON, Phèdre, dans Luc Brisson [2008] (Dir.) Platon Œuvres complètes, p. 1241-1297 Paris : Flammarion.
POINCARE H. 1989 (1ère édition 1908), La Science et l’Hypothèse, Paris : Flammarion.
RIZZOLATTI G. et al. 1996, « Premotor cortex and the recognition of motor actions », Cognitive Brain Research, 3, p. 131-141.
RIZZOLATTI G. et SINIGAGLIA C. 2008, Les neurones miroirs, Paris : Odile Jacob (Poches).
Edition originale, 2006, Milano : Raffaello Cortina Editore.
SAUSSURE F. 1976 (première édition 1915), Cours de linguistique générale, Paris : Payot.
SCHMANDT-BESSERAT D. 1988, Token at Uruk, Baghdader Mitteilugen 19, p. 1-175 et 471.
SCHMANDT-BESSERAT D. 1992, Before Writing, vol.1 From counting to cuneiform : Austin : University of Texas Press.
TALON Ph. et VAN LERBERGHE K. 1997, En Syrie, aux origines de l’écriture, Turnhout : Brepols.
TESTART A. 2005, Éléments de classification des sociétés, Paris : Errance.
DOI: https://doi.org/10.15210/lepaarq.v14i28.11403